PRÉSENTATION

LA REDÉCOUVERTE DU SITE

L'abbaye féminine cistercienne de Beaupré-sur-la-Lys était située à une trentaine de km à l'ouest de Lille, aux confins de la Flandre et de l'Artois, à la confluence de la Lys et de la Lawe, sur la commune de La Gorgue. Fondée au XIIIe s., elle fut entièrement détruite après la Révolution. Seuls un chemin pavé et quelques fossés d'enceinte rappelèrent longtemps le souvenir du monastère installé hier dans un cadre champêtre. L'industrialisation a bouleversé le paysage. A l'ouest, sur une soixantaine d'hectares, s'étend une usine du groupe Roquette. La nécessité d'améliorer une desserte ferroviaire malcommode suscita en 1991 le projet de rectifier le cours de la Lys. Le nouveau tracé aurait eu pour conséquence la destruction de la presque totalité des substructions de l'abbaye.

M. Jean Coupet, dont la famille était propriétaire du site, fit de fouilles préalables la condition suspensive à la cession des terrains nécessaires. Une tranchée de diagnostic fut réalisée fin 1991. Elle montra que l'église était située hors du tracé projeté de la future rivière. La Société Roquette finança des fouilles de sauvetage qui durèrent d'avril à septembre 1992 (no 13). Elles mirent au jour trois des côtés bordant habituellement le carré du cloître.

Une recherche de la documentation disponible (Bibliographie ci-après, références nos 1 à 4) sur ces bâtiments disparus a donné des résultats inégaux. L'information écrite est pauvre : à peu près nulle pour le Moyen-Age, elle se limite à une Description... rédigée en 1703, publiée en partie deux siècles plus tard. Inversement, la situation de Beaupré sur une frontière contestée lui a valu une survie illustrée par le biais de représentations aux XVIIe et XVIIIe s. Une gouache de 1609 des célèbres albums de Croÿ montre l'abbaye vue depuis le sud-ouest. Six cartes des environs ont été retrouvées; deux seulement livrent des renseignements utilisables sur le bâti de Beaupré : un plan minuscule mais assez fouillé de 1727 et un autre, moins petit, de 1760.

UNE HISTOIRE EN TRANCHES

Les origines de l'abbaye sont relativement bien connues. A un groupe de séculiers installés à La Fosse près de Lestrem succèdent en 1204 des religieuses bénédictines. Les seigneurs de Béthune décident leur transfert sur les bords de la Lys, réalisé en 1220 en vue d'une affiliation à l'ordre cistercien. Un tel soutien politique et le prestige de Cîteaux suscitent une vague de donations; fondée sur les revenus temporels, les achats, les dots et les anniversaires, une réelle prospérité permet alors la construction du monastère. Puis, comme partout, la diminution de la faveur des grands et du peuple, les difficultés ordinaires du XIVe s. laissent deviner de graves conséquences.

Quand la paix revient vers le milieu du XVe s., un monde nouveau est né : Beaupré est une puissance foncière qui doit se relever des meurtrissures passées, s'appliquer à faire valoir son temporel et adapter ses locaux à l'évolution des esprits et des effectifs. Des dortoirs sont installés, une nouvelle église dédicacée en 1547. Mais les guerres de Religion provoquent pillages et dispersion de la communauté. Revenues, les moniales se remettent à la tâche : en 1588, quartier abbatial et pensionnat sont édifiés à l'ouest du monastère; en 1597, l'église est restaurée.

Les hostilités entre France et Espagne amènent un ultime épisode de calamités (1645-60), suivi d'une paix ininterrompue et du retour d'une réelle aisance. Beaupré se donne alors un autre aspect par la réfection des anciens bâtiments et l'édification de nouveaux : porterie, grange, basse-cour, église et aile nord sont tour à tour reconstruites en quelques décennies. De cette troisième période favorable, les plans témoignent avec précision.

La suite est banale. Vendus comme biens nationaux à la Révolution, les lieux réguliers sont démolis dans un but spéculatif. Par bateaux entiers, Beaupré part au fil de la Lys vers 1795-97; mis en culture, le périmètre abbatial est exploité par la ferme qui a été conservée. Jusqu'à ce qu'un curieux concours de circonstances, deux siècles plus tard, aboutisse à une large mise au jour des fondations.

DES FOUILLES PARTIELLES

L'aile orientale, dite des moniales, est un rectangle trapézoïdal de 12 m de large sur 42/41 m de long. Ses substructions sont en grès. Sa distribution s'agence en cinq espaces, du sud au nord : sacristie, escalier du dortoir, chapitre à deux piliers, grande salle des religieuses amputée de sa moitié nord au XVIIIe s. La noblesse des fondations de cette aile, son ampleur et son agencement conforme aux dispositions cisterciennes permettent d'y voir le premier bâtiment réalisé en une campagne des années 1220-30.

L'aile nord, ou des converses, est un rectangle de 7,80 m de large et de longueur totale inconnue. Elle présente un angle de 85° par rapport à l'aile est, sans doute à cause de la Lys. Sa structure s'organise d'est en ouest en trois espaces à peu près carrés; au-delà il se prolonge sans division intérieure évidente. Le placage de ses fondations contre celles de l'aile orientale et une différence de mortiers laissent supposer une édification postérieure. La qualité des matériaux et la nécessité de loger les converses permettent, malgré l'absence de données archéologiques, de dater cette aile du milieu du XIIIe s. Elle fut détruite au début du XVIIIe s. pour faire place, entre les ailes est et ouest, à une construction perpendiculaire de 9 m de long et d'une longueur indéterminée, 48 m au moins. Son agencement montre d'est en ouest un premier espace, l'escalier du dortoir, une pièce carrée à pile centrale, un possible couloir, un probable réfectoire à trois piles, un autre escalier et l'amorce d'une pièce.

L'aile occidentale correspond au logis abbatial, à partir du XVIe s. en tous cas puisqu'aucun vestige médiéval n'y a été repéré. (Re?)bâti en 1588 il formait un rectangle d'au moins 30 sur 7 m. Du nord au sud l'organisation intérieure comprenait cuisine, possible cellier, couloir et grande salle. Les fouilles ont mis au jour les substructions d'une nouvelle façade occidentale ayant porté la largeur de cette aile à 8,50 m.

Les fouilles de ces trois ailes ont permis de dresser un plan précis quoiqu'incomplet des lieux réguliers (nos 14, 15), mais sans prospection exhaustive des niveaux inférieurs. Trois autres secteurs ont été repérés et parfois sondés. Hors emprise du projet initial de rectification de la Lys, l'aile sud, emplacement de trois églises successives, n'a été qu'à peine observée. Les galeries et le préau central du cloître ont été seulement décapés. Cinq canalisations en terre cuite ont été retrouvées. Le puits pourrait avoir été installé au XVIe s. De l'espace situé à l'ouest du logis abbatial, peu de traces ont été repérées, sinon les fondations de la laiterie et le long mur de soutènement (55 m) de la cour d'honneur.

Le chantier a livré un intéressant mobilier. De nombreux carreaux, monocolores à formes géométriques diverses et bicolores à motifs variés, datent des XIIIe-XVe s. Une demi-douzaine de pierres tombales en calcaire de Tournai et trois pierres de fondations constituent le matériel lapidaire découvert (nos 10, 11). Il faut encore signaler une cinquantaine de monnaies (no 16) et un lot important de vaisselle des XIIIe-XVIIIe s. en terre cuite, verre, faïence ou porcelaine et un grand nombre d'objets domestiques.

AVENIR DU SITE

A la suite de ces fouilles en 1992, fut créée l'association Abbaye de Beaupré, Etude et Sauvegarde du Site (A.B.E.S.S.) (no 12). Depuis, elle assure l'aménagement et l'entretien des 2 ha comprenant le cœur de l'abbaye et ses abords immédiats. Toute l'année, elle peut organiser des visites guidées gratuites sur rendez-vous préalable (tél. 03 28 49 38 46); lors des fins de semaines en demi-saisons et tous les jours de l'été, le visiteur inopiné a de bonnes chances de trouver un guide sur place, hors des heures des repas. L'Association vend brochures (nos 6 à 9) et cartes postales. Elle projette l'ouverture d'un petit musée des objets archéologiques dans un local de La Gorgue. Elle envisage la création d'un parc archéologique à l'anglaise : rebouchage sélectif, matérialisation des fondations mises au jour, engazonnement du périmètre. Avant d'entreprendre peut-être un jour ou l'autre, une seconde campagne de fouilles sur l'emplacement de l'église.

Avec le soutien de la Société Roquette, la municipalité de La Gorgue a engagé la procédure de création d'une Zone de protection du patrimoine architectural, urbain et paysager. L'objectif est de sauvegarder un périmètre d'environ 6 ha autour du parc archéologique. L'ensemble pourrait être géré par l'Association à laquelle il est prévu que les lieux soient légués, la municipalité de La Gorgue qui y trouverait un centre d'intérêt touristique et la Société Roquette qui pourrait ainsi donner une précieuse note humaine à son environnement.


BIBLIOGRAPHIE

ARCHIVES

1. Arch. dép. Nord, 29 H 1 à 10.— Petit fonds reconstitué, inventorié dans BRUCHET (M.), Répertoire numérique de la série H des Arch. dép. Nord, Lille, 1928, p. 319-320.

2. LE GLAY, "Mémoire sur les archives de l'abbaye de Beaupré", Mémoires de la Société dunkerquoise pour l'encouragement des sciences, des lettres et des arts, 1856, t. V, p. 103-123.— Regeste d'actes épars et du petit fonds précédent (35 analyses, 1204-1478).

NOTICES

3. CANIVEZ (J.-M.), "Beaupré", Dictionnaire d'histoire et de géographie ecclésiastiques, t. VII, Paris, 1934, col. 236-237.— Survol historique avec liste des abbesses. Bibliographie.

4. BECQUET (J.), Abbayes et prieurés de l'ancienne France, t. XIV, Province ecclésiastique de Cambrai, diocèse actuel d'Arras, Ligugé, 1975, p. 185, "Lestrem, collégiale Saint-Amé"; p. 341, "La Fosse, moniales"; t. XV, Diocèses actuels de Cambrai et Lille, p. 62, "Beaupré-sur-la-Lys".— Renvois bibliographiques.

HISTOIRE

5. ARNOULD (E.), "Histoire de l'abbaye de Beaupré-sur-la-Lys", Annales du Comité flamand de France, 1887, t. XVI, p. 215-347.— Tiré à part, Dunkerque, 1888, 130 p.— En dépit d'un style hagiographique et de méthodes dépassées, monographie chronologique d'autant plus incontournable que son auteur utilise des documents aujourd'hui perdus. Publication d'une description des lieux et des biens en 1703, d'un obituaire et de registres du personnel (1737-1782).— Réédition augmentée, Steenvoorde, 1995, 252 p., ill., en vente à Houtland Editions, 5 avenue Foch, F 59114 - Steenvoorde (ISBN, 2 907 568 40 X), au prix de 120 francs.

6. SAINT-VENANT (M.), Judith Desruelles, abbesse de Beaupré, [La Gorgue], 1992, 45+8 p. ms., ill.— Dossier sur la dernière abbesse de Beaupré (1768-1792) : sa famille, son élection, son abbatiat, la Révolution, sa retraite, son décès en 1818.

7. SAINT-VENANT (M.), La vie monastique au cours des dix premiers siècles et à Notre-Dame de Beaupré (1221-1792), [La Gorgue], 1993, 59 p. ms., ill.— Un millénaire d'histoire du monachisme suivi des grandes lignes de celle de Beaupré : abbesses, bâtiments, quotidien.

8. SAINT-VENANT (M.), Abbaye de Beaupré, Saint-Quirin, La Gorgue, 1994, 18 p. ms., ill.— Vie de saint Quirin, introduction de son culte à Beaupré au début du XVIIe s., son reliquaire.

9. SAINT-VENANT (M.), Petite histoire de La Gorgue et de l'abbaye de Beaupré, [La Gorgue], 1995, 22 p. ms., ill.— Pages d'histoire sur La Gorgue et sur l'abbaye : la ferme, les fouilles.— Ces quatre fascicules sont en vente à l'adresse de l'Association.

VESTIGES

10. VANBRUGGHE (N.), "Les inscriptions lapidaires de l'abbaye de Beaupré-sur-la-Lys, catalogue commenté", Bulletin de la Commission départementale d'histoire et d'archéologie du Pas-de-Calais, 1996, t. XIV-3, p. 557-572, ill.— Présentation de treize pierres tombales, trois carreaux à épitaphe et cinq pierres millésimées, cités par les archives, conservés dans l'église de La Gorgue ou retrouvés en fouilles.

11. CHAUVIN (B.), VANBRUGGHE (N.), "Autour de la pierre tombale de Chrétienne, abbesse de Beaupré-sur-la-Lys (1460-1503)", Cîteaux, commentarii cistercienses, 1998, t. XLIX, à paraître.— Unique pierre tombale d'une abbesse de Beaupré conservée, visible dans l'église de La Gorgue. Une seule Chrétienne occupa la fonction pendant 43 ans, mais son patronyme reste hypothétique. Regeste des actes de son abbatiat. Version abrégée dans Autrefois, [revue du Cercle historique d'Aubers-en-Weppes], à paraître.

FOUILLES

12. Cîteaux, commentarii cistercienses, "Beaupré-sur-la-Lys", 199•, t. •, p. •; 1995, t. XLVI, p. 372; 1997, t. XLVIII, p. 195.— Informations sur le site, l'Association née à la suite des fouilles, ses activités, ses publications, ses projets...

13. VANBRUGGHE (N.), "Les fouilles de l'abbaye de Beaupré-sur-la-Lys à La Gorgue et la sauvegarde du site", Plein Nord, 1994 août-sept., no 205, p. 20-22, ill.— "L'abbaye de Beaupré", Autrefois, [revue du Cercle historique d'Aubers-en-Weppes], 1994 juin, no 34, p. 5-7.— Notes sur le chantier, pour le public local.

14. VANBRUGGHE (N.), "Les fouilles de l'abbaye de Beaupré-sur-la-Lys (1992)", Actes du Congrès Anselme Dimier, Abbaye de Noirlac, Fouilles cisterciennes européennes, bilans nationaux, t. I, France, Pupillin, 1997, p. 11-42, ill.— Synthèse sur le chantier : sources écrites et illustrées, données historiques et conditions de fouilles; présentation des substructions découvertes lors des fouilles; intérêt des carreaux, des pierres tombales et du mobilier domestique. Version abrégée dans Annales du Comité flamand de France, 1997, t. LV, p. •-•, ill. Version résumée dans Dossiers d'archéologie, déc. 1997-janv. 1998, no 229, p. 96-101, ill. en couleur.

15. VANBRUGGHE (N.), "Réalités et évolution des bâtiments réguliers de l'abbaye cistercienne de Beaupré-sur-la-Lys (XIIIe-XVIIIe s.)", Actes du Colloque de Liessies, 26-28 sept. 1997, Pratique et sacré dans les espaces monastiques au Moyen-Age et à l'époque moderne, Amiens, Centre d'archéologie et d'histoire médiévales des établissements religieux, 199•, p. •-•, ill.— Bilan archéologique sur les substructions découvertes des trois ailes est, nord et ouest. Proposition critique d'affectation des espaces. L'aile méridionale n'a pas été fouillée. Large iconographie.

16. CASTELAIN (B.), DESNIER (J.-L.), VANBRUGGHE (N.), "Les monnaies provenant des fouilles de l'abbaye de Beaupré", en préparation. — Inventaire commenté de la cinquantaine de monnaies retrouvées à la suite des fouilles. Eventail chronologique complet XIIIe-fin XVIIIe s. et palette reflétant les autorités politiques successives de la région.

 
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